Ce voyage, qui se termine aujourd’hui par un dernier passage à Dej, avait pour objectifs de recueillir de nouveaux éléments sur ma famille Baruch, sur Etus Sterberger et les siens et, surtout, sur ses enfants, mes demi-frères Hermann et Marcel.
Les deux premiers objectifs ont été, quoique très partiellement, atteints ; le troisième n’a rien donné d’autre que de nouvelles interrogations. Pour le moment sans perspectives de réponses.
Mes grands-parents Josef et Sara Baruch avaient, je le sais désormais avec certitude, cinq enfants. Durant ce voyage antéchronologique, j’ai découvert le dernier d’entre eux, Jenö, en réalité le premier de la fratrie. J’ai également découvert son épouse, Frida (Batia) et ses trois enfants, Henrik, Eva et Edit, tous déportés, comme les autres. Compte tenu de facteurs divers dont, notamment, la date du mariage de mes grands-parents et les lieux de naissance de leurs enfants, il est hautement improbable qu’un sixième sorte un jour du chapeau. J’ai enfin retrouvé dans la synagogue de Sighisoara trace de la famille Baruch ; et dans le cimetière juif de la même ville, les tombes de mes arrières grands-parents, Mozes et Rosa Baruch. Mon père, qui avait quitté ce monde en concédant à peine avoir eu des parents, est ainsi restitué dans son univers familial : le fils d’un père et d’une mère, le frère de quatre autres enfants. Même s’il paraît banal, ce secret enfin mis au jour n’est pas mineur.
La récolte est moins riche en ce qui concerne la famille Sternberger, même si les résultats ne sont pas à mépriser. J’ai ainsi enfin localisé le village des Sternberger, Ercea, près de Targu Mures. C’est là que le père d’Etus, Hermann Sternberger est mort en 1907. Selon une pratique courante dans de nombreuses familles, l’un des fils d’Etus, le premier, porte d’ailleurs le même prénom que son grand-père.
Ercea est également le lieu de naissance d’Etus. C’est ce lieu qui est indiqué sur divers papiers officiels émanant d’autorités administratives, lors de son séjour en Belgique, dans les années vingt et trente. Ercea est notamment mentionné sur l’acte de naissance de ses enfants comme sur le registre des étrangers de la police anversoise. L’acte de naissance d’Etus Sternberger découvert dans les archives de Targu Mures confirme partiellement ces renseignements. Cette pièce comporte deux bizarreries : la date de naissance qui y est inscrite (28 mai 1899) est différente, à dix jours près, de celle mentionnée sur les documents d’origine belge (18 mai 1899) ; l’acte de naissance roumain porte le nom de Mari Sternberger et non celui d’Etus Sternberger. Comment le 18 mai est-il devenu le 28 mai ? Comment le prénom Etus a-t-il remplacé celui de Mari ? Simples erreurs administratives, comme il était courant d’en voir dans la gestion des émigrés ? Changement délibéré de prénom, entériné ensuite par la bureaucratie ? Substitution de papiers, voire de personnes ? Ces questions sans réponses ne permettent pas, pour le moment, d’avoir une conviction définitive, même s’il est hautement probable que j’ai bien mis la main sur l’acte de naissance d’Etus Sternberger.
Je n’ai, en revanche, fait aucun progrès en ce qui concerne mes demi-frères. Je connais précisément leur date de naissance et, avec une haute probabilité, celle de leur mort. Entre les deux, je ne possède rien. Je suppute qu’en compagnie de leur mère qui se séparait de mon père, ils ont quitté la Belgique entre 1935 et 1938 et sont revenus en Roumanie, à Dej, où la guerre les a pris et la déportation emportés.
Ce 9 septembre je reviens donc dans la ville pour tenter de recueillir quelques éléments. Quelles écoles fréquentaient les enfants ? Un historien local, Ferenc Kiss, m’affirme que les archives scolaires d’avant-guerre sont désormais regroupées au lycée Andre Muresanu, le principal établissement de la ville. Je m’y rends, mais malgré la bienveillance active des deux secrétaires du directeur je ne trouve rien : les enfants ne figurent sur aucun des registres des années trente. Les archives de la décennie suivante manquent, disparues dans les désordres de la fin de la guerre, lorsque les troupes et l’administration hongroises, en fuite devant l’avance de l’armée soviétique, ont évacué la Transylvanie du Nord qu’elles occupaient depuis 1940.
Marius Birnbaum, l’un des rares membres d’une communauté juive squelettique, ne parvient pas non plus à m’aider. J’interroge les trois vieux rescapés juifs revenus d’Auschwitz dont il me donne les noms. Aucun n’a entendu parler de la famille Sternberger et, à fortiori, de Hermann et de Marcel.
Peut-être fais-je fausse route ? Etus et ses enfants ont certes été déportés à partir de Dej – une liste en ma possession le dit – mais rien n’assure qu’ils sont arrivés dans cette ville lorsqu’ils ont quitté la Belgique quelques années auparavant. Bref, je n’en sais pas plus aujourd’hui que je n’en savais trois semaines plus tôt. Pire, je ne sais même pas comment saisir le fil qui me permettrait de reprendre mon exploration.
Je vais laisser mûrir. Peut-être, un jour, me viendra-t-il une idée. Dans quelques semaines j’irai voir à Anvers ce que peuvent révéler les fichiers de la police des étrangers. Ce sera pour ce blog que je suspends aujourd’hui une nouvelle saison.