7 septembre, Petelea, Voivodeni : cimetière en ville, cimetières aux champs

Je ne suis parvenu à Petelea que par accident, parce que je passais devant le panneau qui indiquait la distance m’en séparant. A sa lecture, j’ai cru me souvenir que les villageois d’Ercea disaient qu’ici étaient enterrés « leurs » Juifs. J’ai aussitôt fait demi-tour.

Petelea paraissait désert, ses maisons alignées de part et d’autre d’une large route bordée d’arbres. Seule l’épicerie à laquelle l’on accédait en montant quelques marches semblait vivante. J’ai jargonné quelques mots de roumain censés expliquer que j’étais à la recherche du cimetière juif. L’épicier s’est montré surpris, comme si c’était la première fois qu’on lui faisait une telle demande. Puis il m’a invité à l’accompagner. Nous sommes sortis de l’épicerie dont il a laissé la porte ouverte et avons traversé la route, jusqu’à une maison située à quelques dizaines de mètres de là. « C’est le directeur de l’école, il saura », a dit l’épicier.

Andreas Schertzer, le directeur de l’école, savait. Coup de chance supplémentaire, il était issu d’une famille saxonne et parlait encore la langue de son enfance, l’allemand, ce qui a singulièrement facilité nos échanges. Il m’a ensuite dit que, oui, Petelea abritait un cimetière juif qui ne contenait que…deux tombes. Le temps de s’habiller –je l’avais sorti de sa sieste- et il nous menait chez Simion et Niorica Puscas.

Andreas Schertzer, directeur de l’école de Petelea. (photo S. Valtat)

 

Niorica et Simion Puscas. Le fond de leur jardin abrite le « cimetière » de Petelea. (photo S. Valtat)

Sous le socialisme, Simion et Niorica étaient ouvriers dans les usines des environs. Aujourd’hui retraités, ils élèvent derrière leur modeste maison quelques poules, cultivent tomates et concombres, prennent soin d’un petit verger au fond duquel niche le cimetière. Mais avant d’y parvenir la courtoisie commandait de s’asseoir dans la cuisine, de goûter les concombres marinés à l’aneth, de humer le lard gras fumé puis d’en avaler d’épaisses tranches étalées sur du pain. Le tout arrosé d’une palinca maison à peine retirée de dessous l’alambic. 70° minimum. Une bombe liquide stockée dans d’innocentes bouteilles de plastique bleu vidées de leur eau minérale !

Ainsi lesté j’ai pu visiter le « cimetière ». De mémoire de villageois, personne ne se souvient de l’âge de ces pierres tombales recouvertes de caractères hébraïques, vestiges vraisemblables d’un ancien cimetière, ni de l’origine des morts qui gisent en-dessous. Lorsque le père de Simion s’est  installé dans la maison, elles étaient déjà là, comme aujourd’hui légèrement penchées sous l’effet du temps. Son fils n’y a pas touché ; il a même refusé l’offre de celui qui voulait les acheter pour en faire des matériaux de construction.

Une des deux pierres tombales dans le verger de Niorica et Simion Puscas. (photo S. Valtat)

J’ai repris du lard et de la palinca puis suis reparti vers Ercea pour tenter de me faire préciser tout cela. Aurelia Milasan, « l’italienne » d’Ercea, m’est, encore une fois, venue en aide. Elle a interrogé son père et deux voisines qui se sont souvenus qu’il existait dans un village proche un autre cimetière juif. Autrefois appelé Sintioana, le village se dénomme aujourd’hui Voivodeni, mais beaucoup l’appellent encore de son nom précédent, ce qui explique la difficulté à le repérer sur une carte.

Voivodeni s’étale au long d’un ruban de poussière jaune. Un paysan juché sur son tracteur à qui je demande l’emplacement du cimetière me renvoie à un voisin, quelques centaines de mètres plus loin. Le cimetière juif est sur ses terres, derrière sa ferme, caché entre deux champs de maïs et quelques arbres fruitiers. Des barbelés tendus entre des pieux de ciment et une porte de fer rouillé fermée à clef en interdisent le libre accès.

Entouré de barbelés, le cimetière de Voivodeni. (photo S. Valtat)

Le site est en mauvais état avec ses pierres tombales renversées, disparues ou éclatées par le gel et les années. Les Juifs de la région étaient en petit nombre et leurs descendants rescapés – les potentiels visiteurs – sont encore moins nombreux, ce qui ne favorise pas l’entretien. Je n’ai pas retrouvé sa tombe, mais c’est sans doute ici, à quelques kilomètres du village où il est mort, qu’est enterré le père d’Etus.

Le cimetière de Voivodeni. (photo S. Valtat)

J’ai en revanche retrouvé les tombes de mes arrières grands-parents, Mozes et Rosza Baruch, morts et enterrés à Sighisoara, dans un cimetière bien ordonné et clos, étalé en bordure de route. La Communauté juive de Targu Mures possédait le plan précis de ce cimetière ancien, ainsi que le registre où était rapporté l’emplacement de leur tombe. Dans la tornade meurtrière qui, en 1944, a emporté les Juifs hongrois et transylvains, ces documents sont parmi les rares qui ont échappé à la disparition.

Le plan du cimetière de Sighisoara et le registre des tombes. (photo S. Valtat)