25 août, Dej : Jenö

Jenö et Frida, Dej 25 octobre 1930

J’avais croisé Jenö une première fois sur deux photos retrouvées dans les papiers paternels. L’une, représentant un jeune couple bourgeoisement mis, portait au verso la mention : Jenö et Frida, Dej, 25 octobre 1930. Le même couple figurait sur la seconde photographie, en habits de mariés. Signature et lieu identiques figuraient au verso mais, cette fois, avec la date du 20 avril 1934. Qui étaient-ils ?

Petite ville qui, avant guerre, comptait à peine plus de 16 000 habitants, Dej est située à quelque soixante kilomètres au nord de Cluj-Napoca (Kolosvar, en hongrois), capitale de la Transylvanie. Dej est également à une quinzaine de kilomètres de Dobrocina, le village où habitaient mes grands-parents et où est né mon père. Ce pouvait être l’indice que l’inconnu avait un lien avec ma famille. J’ai voulu en voir un second dans la ressemblance avec mon père que je croyais déceler dans les traits de Jenö. Mais je n’ai pas, alors, cherché à aller plus loin.

Jenö et Frida le jour de leur mariage à Dej, le 14 janvier 1932. Au verso de la photo figure la mention 20 avril 1934, date d’envoi de la photo.

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24 août, Iersnic : introuvable Etus

Etus Sternberger et ses deux enfants, Hermann (à gauche) et Marcel (à droite). La date et le lieu de la photo sont inconnus.

Des milliers de Juifs qui, avant guerre, habitaient Timisoara, il n’en reste plus aujourd’hui que quelque sept cents, représentés par Luciana Friedmann, 34 ans, présidente de la communauté juive locale. Son bureau est adossé à la synagogue, aujourd’hui fermée, du centre de la ville. C’est un univers de femmes, souvent âgées, auquel seuls deux jeunes hommes effacés apportent leur concours. Luciana travaille dans un vaste appartement organisé autour d’une cour intérieure que l’on aperçoit du balcon, en se penchant par dessus une rampe de fer forgé. Les murs sont sombres, les meubles sont pesants et disparates et les tableaux qui représentent les anciens notables de la communauté sont à l’avenant. Tout cela fait irrésistiblement penser à la Vienne et à la Budapest impériales de la fin du XIXème siècle.

L’essentiel du travail communautaire consiste à assurer soins aux malades et aide financière aux démunis. Quelques activités culturelles et cultuelles complètent le tableau. Et, accessoirement, grâce à ses bonnes relations avec les autorités, la communauté et sa présidente aident les voyageurs de passage sur les traces de leur famille disparue.

Luciana Friedmann, présidente de la Communauté juive de Timsoara

 

Au pied de la synagogue de Timisoara.

Je suis à Timisoara à la recherche d’Etus Sternberger, la mère de mes deux demi-frères. Hormis qu’elle est morte en déportation avec ses deux enfants, je ne sais pas grand chose d’elle.  Je n’ai appris son nom que tardivement, presque accidentellement, en lisant un document négligé dans les papiers de mon père décédé. Puis en découvrant l’acte de naissance de ses deux fils, nés à Anvers respectivement en 1928 et 1931, j’ai vu qu’Etus était née en 1899 à Ierce, village situé à quelque quatre-vingt kilomètres de Timisoara.

Ierce s’appelle aujourd’hui Iersnic ; Luciana Friedman y téléphone et, après quelques détours, atterrit à la mairie de Manastur où sont tenus les registres des villages environnants, dont ceux de Iersnic. Une employée communale, Marussia Ulici, m’y attend pour les feuilleter avec moi.

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Chou blanc

Vaine recherche : ni le registre des naissances, ni celui des mariages ne contient le nom d’Etus Sternberger. Marussia Ulici se prête aimablement à toutes mes demandes, courant chercher aux archives les lourds registres où j’espère trouver un nom ou un indice. Peine perdue.

Je ne serai pas plus heureux à Iersnic. Le village est magnifique, les oies y courent en liberté et les femmes à fichus assissent devant devant leur maison observent paisiblement le nouvel arrivant. Mais personne n’a entendu parler d’une famille Sternberger qui aurait, il y a maintenant plus de cent ans, habité ici. Décevant.

Iersnic

 

Iersnic : nous ne connaisons pas de Sternberger.

23 août, Timisoara

En quelques minutes à peine, Adèle (« Appelez-moi Adeline, cela fait français ») a pointé le cœur de ses préoccupations : le sort des Hongrois de Roumanie.  Près de cent ans après les faits, Adèle vit encore à l’époque du Traité de Trianon qui, après la première guerre mondiale, démembra l’empire austro-hongrois en transférant à la Roumanie la Transylvanie et le Banat. La mesure n’a jamais été vraiment acceptée en Hongrie où elle nourrit quelques uns des ressentiments qui peuplent l’inquiétude nationale magyare. Même au temps du communisme, Bucarest et Budapest manifestaient sur cette question une sensibilité plus proche du nationalisme petit-bourgeois que de l’internationalisme prolétarien. Continuer la lecture de « 23 août, Timisoara »

En guise de prologue

Hermann et Marcel Baruch (lieu et date inconnus)
J’avais déjà 15 ans lorsqu’au détour d’une photo traînant dans  un tiroir, j’appris par hasard que j’avais eu deux frères nés bien avant ma naissance, d’une mère qui n’était pas la mienne. Les deux enfants, Hermann et Marcel, nés respectivement en 1928 et 1931, avaient été déportés en 1944 de Transylvanie vers Auschwitz en compagnie de leur mère. Personne n’en revint.

Personne n’en parla guère non plus. Jusqu’à ce que je trouve cette photo et demandai quelques explications. Ma mère rosit en admettant qu’elle était au courant de l’épisode puis se détourna. Mon père fut aussi bref, mais il contint son émotion. Et moi je me le tins pour dit.

Cinquante ans plus tard, mes parents morts depuis bien longtemps, j’ai déterré cette vieille histoire qui, discrètement, sans m’empêcher de vivre, avait laissé sa trace. J’ai examiné les rares documents que mon père avait laissés, ai scruté et fait agrandir les photos trouvées ici ou là, suis parti en tâtonnant  à la recherche de témoins éventuels, en France, aux Etats-Unis, en Israël, en Allemagne, en Belgique, en Roumanie enfin.

C’est dans ce dernier pays que je suis revenu en cette fin d’été, à la recherche de documents susceptibles de répondre aux questions soulevées au cours d’une enquête qui touche maintenant à sa fin. Je recherche également d’éventuels témoins mais, compte tenu du temps écoulé, je suis nettement plus sceptique sur mes chances d’y parvenir.

C’est cette dernière étape roumaine qui fait le sujet de ce blog.

Georges Marion