Des Roumains à Paris m’avaient prévenu : obtenir dans leur pays un document est parfois chose compliquée. Il y a des droits mais pas de règles : on peux réussir et on peut échouer. Il ne faut surtout pas se décourager, mais revenir à la charge, le lendemain ou le surlendemain, offrir un « cadeau ». Et savoir que le résultat n’est jamais garanti. J’étais aussitôt passé à la banque pour me munir d’un bon paquet de billets de 10 et de 20 euros. Les éventuels « cadeaux »…
Apparemment les Roumains de Paris sont des médisants. Tout au long de ce voyage, dans les services municipaux comme dans les dépendances régionales des archives nationales, j’ai croisé des fonctionnaires empressés à répondre à mes demandes, se mettant en quatre pour tenter de résoudre les problèmes que je leur posais, n’hésitant pas, si nécessaire, à contourner les horaires et à rouvrir des bureaux déjà clos. Ce fut le cas à Dej, où un bataillon d’employées de l’état-civil est allé déterrer de vieux registres poussiéreux que personne ne consultait depuis bien longtemps. Ce fut le cas à Baïa Mare et à Cluj où les historiens des archives nationales n’ont pas ménagé leurs efforts pour me guider dans le maquis des index et des registres, puis ont téléphoné à leurs homologues des étapes suivantes pour annoncer mon arrivée. Ce fut le cas à Targu Mures où la secrétaire générale de la mairie a énergiquement remué tout son monde pour me venir en aide.

Je n’ai pas fait 2000 km pour me faire ainsi jeter. Je demande à Markus Hari d’insister. Mal à l’aise, il fait rappeler la responsable et lui demande : peut-être y-a-t-il des Sternberger nés après la date fatidique ? Notre interlocutrice nous écoute d’un air de plus en plus excédé et lâche : Bon, je vais faire vérifier. Mais trois ans, pas un de plus ! Et de charger l’une de ses agentes d’effectuer immédiatement la recherche. Sans doute émue par notre désarroi, cette dernière, sur notre insistance, parcourra finalement vingt années de son registre. Sans résultat.

C’est que fouiner dans les archives roumaines ne va pas de soi. Les multiples bouleversements politiques qu’a connu le pays depuis la fin de la Première guerre mondiale couplés aux réformes et contre-réformes administratives qui les ont accompagnés ont dispersé aux quatre coins de la Roumanie, quant ils ne les ont pas détruites, des archives disparates dont personne ne connaît vraiment le contenu. Les priorités sont visiblement ailleurs…
Dans telle mairie, l’officier d’état-civil, roumanophone exclusif, possède dans une armoire de fer des documents rédigés à la fin du 19eme siècle, en hongrois, langue qu’il ne comprend pas, ni aucun de ses collègues des bureaux voisins ; dans telle autre, les actes de naissance qui devaient s’y trouver ont été transférés, nul ne sait quand ni pourquoi, en un lieu incertain, voire inconnu. Il faut savoir courir d’une mairie à une autre pour, enfin, être rabattu sur la première ; frapper à la porte d’une administration pour s’entendre dire qu’il faut aller « là-bas » et non « ici » et finalement constater que la solution niche « autre part ».

Une fois le document exhumé, qu’a-t-on le droit d’en faire ? Ici l’on vous autorise à feuilleter vous-même le registre et à prendre copie de ce que vous y trouvez sans, toutefois, pouvoir le photographier ; là, à l’inverse, vous ne feuilletez rien mais on vous autorise à discrètement photographier. Autre part encore, après trois coups de téléphone au « chef » installé à la ville voisine, la secrétaire de mairie, vous fait rédiger sur papier libre, en français dont elle ne comprend goutte, une demande « officielle » qui, croit-elle, lui permettra de se couvrir en cas de pépins. Puis elle vous remet avec solennité un extrait « officiel » succinct, partiellement erronée, et qui, surtout, ne contient pas ce que vous cherchiez. Vous implorez de voir l’original ? « Impossible, dit-elle d’un ton grave, protection des données personnelles ! » La personne a « protéger », née il y a plus de 110 ans, est morte gazée à Auschwitz avec tous les siens, mais cela ne change rien à la détermination du cerbère des données personnelles qui, étrangement, finira quand même par déclarer : « Bon, je vais faire des recherches et je vous envoie un courriel dès que je trouve quelque chose » !