31 août, Targu Mures : arcanes administratifs

Des Roumains à Paris m’avaient prévenu : obtenir dans leur pays un document est parfois chose compliquée. Il y a des droits mais pas de règles : on peux réussir et on peut échouer. Il ne faut surtout pas se décourager, mais revenir à la charge, le lendemain ou le surlendemain, offrir un « cadeau ». Et savoir que le résultat n’est jamais garanti. J’étais aussitôt passé à la banque pour me munir d’un bon paquet de billets de 10 et de 20 euros. Les éventuels « cadeaux »…

Apparemment les Roumains de Paris sont des médisants. Tout au long de ce voyage, dans les services municipaux comme dans les dépendances régionales des archives nationales, j’ai croisé des fonctionnaires empressés à répondre à mes demandes, se mettant en quatre pour tenter de résoudre les problèmes que je leur posais, n’hésitant pas, si nécessaire, à contourner les horaires et à rouvrir des bureaux déjà clos. Ce fut le cas à Dej, où un bataillon d’employées de l’état-civil est allé déterrer de vieux registres poussiéreux que personne ne consultait depuis bien longtemps. Ce fut le cas à Baïa Mare et à Cluj où les historiens des archives nationales n’ont pas ménagé leurs efforts pour me guider dans le maquis des index et des registres, puis ont téléphoné à leurs homologues des étapes suivantes pour annoncer mon arrivée. Ce fut le cas à Targu Mures où la secrétaire générale de la mairie a énergiquement remué tout son monde pour me venir en aide.

Anamaria Onac, secrétaire générale de la mairie de Targu Mures

Markus Hari, président de la Communauté juive de Sighetu Marmatiei. (Photo S. Valtat)
Parfois, cependant, la réalité est conforme aux clichés malveillants, comme ce 29 août, à Sighetu Marmatiei. Ce jour là, accompagné du président de la Communauté juive locale, Markus Hari, je me présente à la mairie. Mon accompagnateur a insisté pour venir avec moi. « Je veux vous aider, dit-il ; je connais la personne responsable de l’état-civil. Nous avons travaillé ensemble dans le passé ». J’apprendrai plus tard que Markus Hari a été ingénieur dans l’usine où la responsable de l’état-civil était alors chargée des questions juridiques. C’était du temps de Ceaucescu.
Mon accompagnateur pénètre avec moi dans une antichambre où rien n’est prévu pour accueillir le public. D’autres personnes attendent déjà, ne connaissant pas trop la marche à suivre pour obtenir ce qu’ils recherchent. Mon accompagnateur frappe à une porte, passe respectueusement la tête mais prend garde à laisser son corps dehors. Il demande à parler à la responsable. J’ai l’impression qu’il va lui remettre un placet. Entretemps, je me suis glissé derrière lui et campe résolument dans le bureau où cigarette aux lèvres, travaillent trois jeunes secrétaires. « Chef, crie l’une d’elle en direction d’une porte ouverte dans le fond du bureau, quelqu’un veut vous voir ». Une femme aux cheveux clairsemés et rouges en sort alors. Elle a l’allure et le visage énergique de ceux qui ont passé leur vie à commander. Elle commence  par nous pousser dehors et par boucler la porte derrière elle. Puis, une fois relégués dans le couloir, elle nous demande d’un air impatient ce que nous voulons. Markus Hari lui explique que, venu de France, je recherche des traces de ma famille et, plus particulièrement, celles d’un nommé Marcel Sternberger (il s’agit du cousin d’Etus Sternberger).
— Quand est-il né ? nous lance le dragon.
— En 1899. Je crois.
— Nos archives ne commencent qu’en 1911. Pour les années antérieures, il faut vous adresser aux archives nationales, à Baïa Mare. Et elle disparaît derrière la porte. Mine déconfite de mon mentor.

Je n’ai pas fait 2000 km pour me faire ainsi jeter. Je demande à Markus Hari d’insister. Mal à l’aise, il fait rappeler la responsable et lui demande : peut-être y-a-t-il des Sternberger nés après la date fatidique ? Notre interlocutrice nous écoute d’un air de plus en plus excédé et lâche : Bon, je vais faire vérifier. Mais trois ans, pas un de plus ! Et de charger l’une de ses agentes d’effectuer immédiatement la recherche. Sans doute émue par notre désarroi, cette dernière, sur notre insistance, parcourra finalement vingt années de son registre. Sans résultat.

L’armoire aux archives dans la mairie de Sighetu Marmatiei. (Photo S. Valtat)

C’est que fouiner dans les archives roumaines ne va pas de soi. Les multiples bouleversements politiques qu’a connu le pays depuis la fin de la Première guerre mondiale couplés aux réformes et contre-réformes administratives qui les ont accompagnés ont dispersé aux quatre coins de la Roumanie, quant ils ne les ont pas détruites, des archives disparates dont personne ne connaît vraiment le contenu. Les priorités sont visiblement ailleurs…

Dans telle mairie, l’officier d’état-civil, roumanophone exclusif, possède dans une armoire de fer des documents rédigés à la fin du 19eme siècle, en hongrois, langue qu’il ne comprend pas, ni aucun de ses collègues des bureaux voisins ; dans telle autre, les actes de naissance qui devaient s’y trouver ont été transférés, nul ne sait quand ni pourquoi, en un lieu incertain, voire inconnu. Il faut savoir courir d’une mairie à une autre pour, enfin, être rabattu sur la première ; frapper à la porte d’une administration pour s’entendre dire qu’il faut aller « là-bas » et non « ici » et finalement constater que la solution niche « autre part ».

Tiroirs à fiches aux archives nationales de Baïa Mare

Une fois le document exhumé, qu’a-t-on le droit d’en faire ? Ici l’on vous autorise à feuilleter vous-même le registre et à prendre copie de ce que vous y trouvez sans, toutefois, pouvoir le photographier ; là, à l’inverse, vous ne feuilletez rien mais on vous autorise à discrètement photographier. Autre part encore, après trois coups de téléphone au « chef » installé à la ville voisine, la secrétaire de mairie, vous fait rédiger sur papier libre, en français dont elle ne comprend goutte, une demande « officielle » qui, croit-elle, lui permettra de se couvrir en cas de pépins. Puis elle vous remet avec solennité un extrait « officiel » succinct, partiellement erronée, et qui, surtout, ne contient pas ce que vous cherchiez. Vous implorez de voir l’original ? « Impossible, dit-elle d’un ton grave, protection des données personnelles ! » La personne a « protéger », née il y a plus de 110 ans, est morte gazée à Auschwitz avec tous les siens, mais cela ne change rien à la détermination du cerbère des données personnelles qui, étrangement, finira quand même par déclarer : « Bon, je vais faire des recherches et je vous envoie un courriel dès que je trouve quelque chose  » !

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